Nadine Atallah, Author at post https://post.moma.org notes on art in a global context Thu, 08 Aug 2024 19:29:33 +0000 en-US hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.8.2 https://post.moma.org/wp-content/uploads/2020/05/cropped-favicon-32x32.png Nadine Atallah, Author at post https://post.moma.org 32 32 Inji Efflatoun en prison (1959-1963) : peindre l’inrenouvelable https://post.moma.org/inji-efflatoun-en-prison-1959-1963-peindre-linrenouvelable/ Wed, 28 Apr 2021 17:22:00 +0000 https://post.moma.org/?p=4503 Inji Efflatoun fut une peintresse et une militante marxiste et féministe égyptienne. De juin 1959 à juillet 1963, elle fut emprisonnée par le régime nassérien en raison de son appartenance au parti communiste. Au cours de ces années, elle continua à peindre. Célébrés dès les années 1960, et aujourd’hui recherchés sur le marché de l’art, les tableaux de cette période sont souvent considérés comme les plus importants de son œuvre.

The post Inji Efflatoun en prison (1959-1963) : peindre l’inrenouvelable appeared first on post.

]]>
Inji Efflatoun (1924-1989) fut une peintresse et une militante marxiste et féministe égyptienne. De juin 1959 à juillet 1963, elle fut emprisonnée par le régime nassérien en raison de son appartenance au parti communiste. Au cours de ces quatre années, elle continua à peindre. Célébrés dès les années 1960, et aujourd’hui recherchés sur le marché de l’art, les tableaux de cette période sont souvent considérés comme les plus importants de son œuvre. Est-ce pour leur valeur documentaire, qui témoigne de l’oppression des opposants par le régime nassérien et donne à voir la réalité gardée secrète de la prison des femmes ? Est-ce parce qu’ils mettent en valeur l’histoire personnelle peu commune de cette artiste militante ? Ou bien ces œuvres ont-elles des qualités esthétiques exceptionnelles ? Nadine Atallah tente de répondre à ces questions en observant une sélection de tableaux réalisés entre 1959 et 1963, à la lumière d’une correspondance inédite qu’Efflatoun entretint avec sa famille au cours de sa détention.

Ce texte est disponible en anglais ici.

Figure 1. Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla. 22 May 1963. Inji Efflatoun Archives, IFAO, Le Caire. ©IFAO

«Je peins toujours beaucoup avec acharnement et inspiration; toujours les mêmes sujets mais avec une nouvelle vision, une vision plus pure et sobre; il s’agit pour moi de me renouveler continuellement dans ce monde de l’inrenouvelable1 et de la banalité la plus complète où nous sommes» [Fig. 1].2 Ces mots, la peintresse égyptienne Inji Efflatoun (1924-1989) les écrivit en 1963 depuis sa geôle, où elle était détenue depuis près de quatre ans. De juin 1959 à juillet 1963, elle fut emprisonnée par le régime nassérien en raison de son appartenance au parti communiste. L’un des leaders de la révolution égyptienne qui renversa le roi Farouk en 1952, Gamal Abdel Nasser devint président en 1956 et demeura au pouvoir jusqu’à sa mort en 1970. Il installa une dictature à parti unique, réprimant violemment toute opposition. En 1959, Nasser mena des campagnes d’arrestation de masse, ciblant les communistes. Les milieux intellectuels et culturels furent particulièrement touchés.3 Incarcérée à ce moment-là, Efflatoun fit partie des premières femmes prisonnières politiques. 

Au cours de sa détention, Efflatoun peignit avec ferveur au gré de l’alternance des autorisations et des interdictions d’exercer son art, énoncées par les directeurs successifs de l’institution carcérale.4 Dans un premier temps, il lui fut permis de peindre à condition que les tableaux soient vendus au profit de la prison, avec les autres artefacts produits par les détenues. Elle obtint la permission de racheter pour elle-même un certain nombre de ses œuvres, juste après qu’elle les eut peintes, tandis que d’autres furent acquises par des membres de l’administration pénitentiaire. D’autres encore furent confisquées, et consécutivement perdues. Il est par conséquent difficile d’établir combien d’œuvres furent réalisées en prison par Efflatoun.

La cinquantaine de peintures à l’huile que j’ai identifiées5 inclut des portraits de détenues, ainsi que des scènes de la vie carcérale, qui donnent à voir la réalité gardée secrète de la prison des femmes. En portant le regard par-delà les barreaux, Efflatoun développa aussi une peinture de paysages. À l’intérieur de chacune des thématiques – les portraits, les scènes de vie collective, les paysages – certains tableaux déclinent une même vue. L’artiste semble même constituer un répertoire de formes et de figures, parfois reproduites à l’identique d’une œuvre à une autre. Ces choix picturaux s’expliquent en partie par le fait qu’Efflatoun était rarement autorisée à circuler avec son matériel de peinture dans les différents espaces de la prison, se trouvant contrainte de travailler confinée entre les murs de sa cellule. Le manque de modèles et de sources d’inspiration visuelles conduisit l’artiste à adopter une méthodologie qui peut être définie comme sérielle. Il semble que les «contraintes […] imposées concernant le sujet et le lieu»6 conduisirent Efflatoun à explorer, par la répétition, les potentialités plastiques du médium pictural. Cette évolution qui transparaît notamment dans les variations de touches, de couleurs, de cadrage et de composition observées entre plusieurs portraits et scènes similaires, suscita un renouveau de la pratique artistique d’Efflatoun, et de son appréhension du rôle de l’art.

Efflatoun fit ses débuts au sein du groupe surréaliste Art et Liberté alors qu’elle était adolescente.7 Actrice prééminente des sphères féministe et marxiste égyptiennes, elle explora dès la fin des années 1940 le potentiel politique et social de la peinture comme corollaire à son militantisme. Elle organisa ainsi au cours des années 1950 plusieurs expositions personnelles dénonçant les ravages du colonialisme, l’oppression des femmes dans la société égyptienne, et célébrant les forces laborieuses du pays.8 Celle qui signa trois livres politiques ainsi que des chroniques journalistiques9 avait pour priorité de «communiquer [ses] opinions»10 aussi bien par écrit qu’à travers sa peinture.

Alors qu’elle partageait son temps entre art et militantisme jusqu’en 1959, Efflatoun entama en prison une «période de pratique de la peinture»11 dans laquelle elle voyait l’occasion de «perfectionner»12 son art. Dans la continuité de son engagement politique et social, peu de temps après son arrivée en prison elle s’employa à portraiturer ses codétenues pour rendre compte, à travers leurs histoires personnelles tragiques, de «la misère des femmes dans notre société».13 Issue de l’aristocratie turco-circassienne, Efflatoun s’efforça tout au long de sa vie de mieux comprendre la réalité du peuple égyptien, et particulièrement des femmes des classes populaires. La promiscuité, dans les geôles nassériennes, avec les prisonnières de droit commun parmi lesquelles des voleuses, des prostituées, des meurtrières, lui permit de sceller ce rapprochement. La dimension sérielle des portraits de ses codétenues peints entre 1959 et 1963 provient surtout d’une similitude de cadrage, souvent coupé au-dessus de la poitrine, renforcée par une représentation presque toujours frontale et hiératique des visages [Fig. 2-6]. Seule les anime l’intensité des regards, dont l’expression varie de la plus grande détresse à la fixité la plus glaciale. Le dessin, très linéaire, ainsi que le traitement des carnations par la juxtaposition géométrique de teintes plates, dont les nuances contrastées modèlent les visages, confèrent également une unité à l’ensemble des portraits. Ces représentations individualisées des prisonnières se distinguent des scènes de groupes, où les figures sont le plus souvent dépourvues de visages – peut-être en allusion à la déshumanisation des détenues par le système carcéral.

Figure 2. Inji Efflatoun. Portrait d’une prisonnière. 1959. Huile sur toile. 15.74 x 11.81″ (44 x 30 cm). Mathaf, Doha, MAT.2013.16.43. Courtesy du Mathaf: Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 3. Inji Efflatoun. Portrait d’une prisonnière. 1960. Huile sur bois. 12.99 x 9.45″ (33 x 24 cm). Photo: Galerie SafarKhan
Figure 4. Inji Efflatoun. Aïda. Huile (support inconnu). 15.75 x 11.81″ (40 x 30 cm). Tableau reproduit dans: Nadim Attiya, Inji Efflatoun (Le Caire: Al-hai ͗a al-͑amma lil-ista ͑ lamat, 1986).
Figure 5. Inji Efflatoun. Portrait. 1963. Huile sur panneau. 13.78 x 10.24″ (35 x 26 cm) Musée Inji Efflatoun, Le Caire
Figure 6. Inji Efflatoun. Portrait. 1963. Huile sur panneau. 14.57 x 11.81″ (37 x 30 cm). Musée Inji Efflatoun Museum, Le Caire

Ces tableaux révèlent des aspects du quotidien en prison, dans les espaces qui en structurent la vie collective comme les dortoirs, la cour, le lavoir ou le réfectoire : on sait que grâce aux faveurs du directeur de son quartier, Efflatoun jouit ponctuellement de la possibilité de circuler dans la prison pour y peindre.14 La succession, pour l’artiste, de périodes de mobilité et de réclusion au sein du bâtiment eut un impact sur le choix de ses sujets de représentation, mais aussi sur sa façon de travailler. Efflatoun reproduisit ainsi des figures identiques dans plusieurs tableaux. C’est le cas par exemple dans deux scènes intitulées Femmes accroupies où l’on voit les prisonnières en rang, attendant devant la porte à l’heure de la promenade quotidienne – l’un de ces tableaux est intitulé Al-Qurfasaʾ (femmes accroupies) dans plusieurs sources,15 tandis que le titre de l’autre est inconnu [Fig. 7-8]. Tout à fait à droite, la même femme aux cheveux courts, coiffée d’un turban, tourne la tête vers le mur, exposant sa nuque. Son mollet nu apparaît sous la galabeya retroussée. Rythmés par les arrondis des dos et des jambes qu’amplifient les rayures des uniformes, mais aussi par des postures récurrentes comme le menton posé sur la main, les deux tableaux se déploient en frise. L’un, plus étroitement cadré sur les figures, fait abstraction des détails qui permettent de reconnaître la cour de la prison. Peut-être l’artiste le peignit-elle en prenant l’autre, réalisé in situ, comme modèle, dans un moment où il lui était interdit de circuler. On observe un cas similaire parmi les représentations de bateaux à voiles, dont Efflatoun pouvait admirer le va-et-vient depuis le toit de la prison, sise en bordure du Nil [Fig. 9-10]. Deux compositions verticales, au cadrage serré sur les voiles, apparaissent identiques à quelques détails près. En leur centre, deux mâts s’entrelacent formant une croix. Tout autour, la disposition des voiles et des cordages enchevêtrés est sensiblement la même. La touche cependant est différente, plus fluide et peut-être plus grasse sur l’un des deux tableaux, où les drapés sont rendus de manière dynamique par des lignes ondulées. Cette variation témoigne d’une attention portée à la matière picturale, au-delà du sujet représenté. Comme l’affirmait Efflatoun: «D’un rien comme sujet, ou même avec toujours le même sujet j’arrive à produire un tas de compositions toujours renouvelées. C’est un signe de grand progrès pour mon travail – chose qui m’encourage à travailler malgré tout et toutes les difficultés».

Figure 7. Inji Efflatoun. Femmes accroupies. 1960. Huile sur toile. 13 39/50 x 35 43/100″ (35 x 90 cm). Photo: Galerie SafarKhan
Figure 8. Inji Efflatoun. Titre et détails inconnus. Archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. © IFAO
Figure 9. Inji Efflatoun. Titre et détails inconnus. Archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. © IFAO
Figure 10. Inji Efflatoun. Titre et détails inconnus. Archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. © IFAO

Si la série des portraits de prisonnières évoquent, dans leur traitement répétitif, la multitude des condamnées et leur destin misérable, en orientant son attention vers la nature l’artiste opta pour une peinture moins directement politique et sociale. Bien après sa libération, Efflatoun déclara: «L’expérience de la prison m’a révélé l’importance de la nature. Avant 1959, je me concentrais sur l’expression de la personnalité, de l’être humain. Il était rare que je peigne un tableau de la nature seule, pour elle-même. Mais quand j’en fus privée, je ressentis à quel point c’était une chose précieuse. Elle devint à mes yeux un symbole de liberté […]».16 Elle ajouta même dans ses mémoires: «si j’avais été hors de prison, je n’aurais pas peint un seul arbre, car le champ des possibles aurait été très vaste».17 On sait néanmoins que peu de temps avant son arrestation, Efflatoun déposa un tableau au Musée d’art moderne du Caire pour un concours de paysage. Elle apprit que le premier prix lui revenait alors qu’elle se cachait, se sachant recherchée par la police.18

Les motivations d’Efflatoun à se tourner vers un sujet qui l’intéressait peu jusqu’alors furent multiples. Premièrement, l’administration pénitentiaire s’étant octroyé le droit de faire commerce, pour son propre compte, des réalisations de l’artiste, il fut demandé à celle-ci de produire des images faciles à vendre: «Le sujet doit être joli, fin, reposant aux yeux».19 – les portraits qu’elle faisait de ses codétenues étaient jugés « déprimants » et donc invendables.20 Deuxièmement, dans le dortoir, Efflatoun occupait l’étage le plus haut des lits superposés. Cette place présentait l’avantage d’être près d’une fenêtre, offrant une vue sur l’extérieur.21 Or l’institution où Efflatoun fut détenue, qui existe encore aujourd’hui, se situe dans la ville d’Al-Qanater Al Khayriya dans le delta du Nil, lieu de villégiature prisé des Cairotes pour ses jardins. Al-Qanater Al Khayriya, qui signifie littéralement «les aqueducs bienfaisants», doit son nom aux barrages érigés sur le fleuve. Ce cadre verdoyant et pittoresque se devine dans certains tableaux, où des arbres touffus et des massifs fleuris apparaissent derrière les murs et les fils barbelés de la prison. Mais surtout, c’est la lassitude de la vie carcérale qui encouragea Efflatoun à porter le regard vers l’extérieur : « Au bout d’un certain temps, je n’eus plus aucune envie de peindre la prison, ni les prisonnières. Je fus dégoûtée de la prison », reconnut-elle.22 Elle trouva alors dans la peinture de paysages une perspective favorable : « cette vue est le calmant le plus facile pour nos âmes captives, et la source continue d’espoir pour le futur », déclarait-elle en 1959.23

Il y a donc, dans ces représentations de la nature, une portée métaphorique. Il semble en effet que l’artiste se raccrocha à la vision des plantes, des bateaux à voile, ou encore du ciel comme à l’espoir de la libération. Le geste même de peindre et repeindre le même paysage apparaît dès lors comme une entreprise d’évasion mentale. En particulier, Efflatoun réalisa de nombreux tableaux d’un même arbre, au point que ses codétenues le baptisèrent «l’arbre d’Inji»24 [Fig. 11-13]. Les différentes représentations de cet arbre se caractérisent par des variations de la palette, tantôt classique dans des tonalités brunes et vertes, tantôt presque fauve, avec des dominantes violettes. Le rouge figurant les fleurs est récurrent – l’arbre est sans doute un flamboyant. Les couleurs, apposées par touches rondes, se superposent sans souci de rendre la profondeur. Ainsi, le bleu du ciel se confond parfois avec le feuillage [Fig.14]. Efflatoun, justement, s’attache à brouiller les règles de la perspective. Plusieurs tableaux montrent des branches s’emmêlant dans les barreaux, passant devant puis derrière eux en dépit de toute vraisemblance [Fig. 15]. La séparation entre intérieur et extérieur s’en trouve abolie, exprimant le désir de liberté de l’artiste. Les couleurs changeantes des arbres de la série sont peut-être le résultat d’irrégularités d’approvisionnement en tubes de peinture – les petits formats attestent de même d’un usage économique de la toile, si difficile à se procurer. Mais surtout, ces évolutions chromatiques évoquent le temps qui passe. « Je le peignais à chaque saison », dit Efflatoun.25 Elle observait ainsi, en janvier 1963: «mon arbre, celui qui fleurit chaque année en plein hiver, commence à perdre ses feuilles et à revêtir sa cape de bouquets rouges».26 L’expérience, par la peinture, du temps qui s’écoule est d’autant plus saisissante qu’Efflatoun ignorait la durée de sa détention. Elle fut jugée le 23 décembre 1960 et condamnée à deux années de prison. Il était cependant fréquent que les prisonnières et prisonniers politiques ne soient pas relâchés le jour de leur acquittement. Efflatoun ne fut libérée que le 26 juillet 1963 avec des codétenues, à la suite d’une grève de la faim.27 L’application de l’artiste à peindre encore et encore le même arbre prend alors des airs de rituel destiné à conjurer l’angoisse d’une incarcération à l’étendue indéfinie.

Figure 11. Inji Efflatoun. Al-achgar (Arbres). 1960. Huile sur bois. 22 21/25 x 14 24/25″ (58 x 38 cm). Courtesy de Ramzi & Saeda Dalloul Art Foundation
Figure 12. Inji Efflatoun. The Tree of Freedom. 1963. Huile sur toile. 21 13/20 x 15 3/5″ (55 x 40 cm). Mathaf, Doha, MAT.2013.16.45. Courtesy du Mathaf: Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 13. Inji Efflatoun. Flower Trees Behind the Bars. 1962. Huile sur toile sur panneau. 20 87/100 x 10 63/100″ (53 x 27 cm). Mathaf, Doha. MAT.2013.16.52. Courtesy du Mathaf : Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 14. Inji Efflatoun. Shajara Khalfa al Aswar (Arbre derrière les murailles). ca. 1960. Huile sur toile montée sur panneau. 15 7/20 x 12 1/5″ (39 x 31 cm). Mathaf, Doha. MAT.2013.16.51. Courtesy du Mathaf: Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 15. Inji Efflatoun. Arbres derrière la muraille. 1963. Huile sur bois. 11 81/100 x 9 21/25″ (30 x 25 cm). Photo: Galerie SafarKhan

Avant son emprisonnement, Efflatoun plaçait au cœur de ses œuvres un message qu’elle souhaitait diffuser. Elle voyait alors la peinture comme un moyen d’initier des changements concrets au sein de la société, de la même façon que l’action politique qu’elle menait. Son pinceau était mû par la perspective d’un avenir meilleur. En prison, il s’ancra dans un présent illimité. Ce décalage de temporalité reflète une modification de l’œuvre d’Efflatoun, amorcée par la pratique sérielle comme réponse aux conditions difficiles de sa détention. Avec les portraits qui racontent la misère des prisonnières, l’artiste mit la sérialité au service de la rhétorique. Mais avec ses représentations de la nature, Efflatoun dépassa l’usage militant des images. Pourtant ses arbres peints, en particulier, préservent une fonction narrative puisqu’ils disent le désir de liberté et l’incertitude face au temps qui passe. Bien que l’arbre se soit imposé à Efflatoun comme sujet de représentation circonstanciel, en suscitant la contemplation et en cristallisant l’espoir il fut bien plus qu’un prétexte. En témoigne le fait qu’il demeura, après sa sortie de prison, un motif central de sa production picturale. Dès le mitan des années 1960, Efflatoun peignit en effet majoritairement des paysages ruraux ponctués d’arbres fruitiers et de palmiers. Une huile, présumée des années 1970, rappelle même le fameux arbre d’Inji.28 [Fig. 16]. Malgré des différences dans les teintes et le cadrage, ce tableau est, jusque dans ses dimensions, la réplique d’un autre estimé peint en prison.29 [Fig. 17]. Aucune des deux œuvres n’est datée ; des erreurs ne sont donc pas à exclure. Cependant, d’autres exemples confirment qu’après sa libération, Efflatoun reproduisit des scènes conçues au cours de sa détention.30

Figure 16. Inji Efflatoun. Arbre derrière muraille. c. 1970s. Huile sur bois. 15 3/5 x 9 9/20″ (40 x 24 cm). Photo: Galerie SafarKhan
Figure 17. Inji Efflatoun. Arbres derrière muraille. c. 1960. Huile sur toile montée sur panneau de bois. 14 17/100 x 9 3/50″ (36 x 23 cm). Photo: Galerie SafarKhan

Comment comprendre ces réitérations iconographiques? S’agit-il, dans une logique sérielle, de poursuivre l’exploration formelle de sujets inépuisés? Ou bien faut-il y voir un moyen pour l’artiste, résolue à sa sortie de prison à prendre ses distances par rapport à ses positions radicales, de continuer à témoigner de l’oppression que le régime nassérien fit subir à ses opposants et opposantes? Peut-on aller jusqu’à lire dans l’ensemble de sa production post-carcérale, conçue comme une célébration de la nature et de la clarté du soleil,31 le récit en négatif des privations subies au cours de sa détention?


1    Efflatoun écrit en réalité “irrenouvable”, un mot qui n’existe pas et provient peut-être des interférences linguistiques propres à la francophonie égyptienne. Voir Figure 1. Merci à Mercedes Volait qui a remarqué ce vocable particulier.
2    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 22 mai 1963, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire.
3    Au sujet des expressions idéologiques du nassérisme et de sa relation conflictuelle avec l’intelligentsia égyptienne, voir notamment: Anouar Abdel-Malek, Égypte, société militaire (Paris: Éditions du Seuil, 1962) et Salah Isa, Muthaqqafun wa ʿaskar (Le Caire: Maktabat Madbuli, 1986).
4    Efflatoun rend compte de son activité artistique en prison dans ses mémoires: Inji Efflatoun et Said Khayal, éd., Mudhakirat Inji Aflatun. Min al-tofula ila al-sign (Le Caire: Dar al-thaqafa al-gadida, 2014), 193-197. Une correspondance inédite entre la peintresse et sa sœur, Gulpérie Efflatoun-Abdalla (conservée à l’IFAO, au Caire), contribue aussi à éclairer cette période. Voir aussi le portrait de l’artiste par Betty LaDuke, «Egyptian painter Inji Efflatoun: the merging of art, feminism, and politics», NWSA Journal 1, no 3 (1989): 474‑485, 479-483.
5    Il s’agit majoritairement de tableaux issus de la collection personnelle de l’artiste qu’elle conserva jusqu’à son décès, et qui sont aujourd’hui dispersés entre différentes institutions muséales en Égypte et dans d’autres pays arabes.
6    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 24 octobre 1959, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire.
7    Art et Liberté (Gamaʿiyat al-Fann wal-Horriya en arabe) était un groupe cosmopolite d’artistes, de gens de lettres, d’intellectuels et intellectuelles, actif entre 1938 et 1948. Les membres étaient unis par des convictions marxistes et l’assurance que l’art – et le surréalisme en particulier – offrait un moyen de résister à l’essor du fascisme et du nationalisme en Égypte et à travers le monde. Voir entre autres: Aimé Azar, Les Inquiets (Le Caire: Imprimerie Française, 1954) et Sam Bardaouil, Surrealism in Egypt: Modernism and the Art and Liberty Group (Londres et New York: I.B. Tauris, 2017).
8    Voir ses expositions dans les galeries cairotes ADAM (1952), Aladdin (1953) et Le Galion (1953), ainsi qu’à l’Atelier du Caire (1959).
9    Au sujet des écrits et des activités politiques d’Efflatoun, voir: Didier Monciaud, «Les engagements d’Inji Aflatûn dans l’Égypte des années quarante: la radicalisation d’une jeune éduquée au croisement des questions nationale, femme et sociale», Cahiers d’Histoire. Revue d’Histoire Critique, no 126 (2015): 73‑95.
10    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 102. Sur la dimension narrative de la peinture d’Efflatoun, voir: Nadine Atallah, « Have There Really Been No Great Women Artists ? Writing a Feminist Art History of Modern Egypt », in Under the Skin : Feminist Art and Art Histories from the Middle East and North Africa Today, par Ceren Özpınar et Mary Kelly, éd., Proceedings of the British Academy (Oxford: Oxford University Press, 2020), 11‑25, 22-24.
11    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 196.
12    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 6 juillet 1959, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire.
13    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 15 août 1959, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. 
14    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 195.
15    Voir notamment la brochure Inji Efflatoun, 6e exposition, publiée à l’occasion de son exposition de mars 1964 à la galerie Akhénaton au Caire, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire.
16    Mohamed Shaaban, Injy (Al-markaz al-qawmi lil sinema, 1988).
17    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 197.
18    Betty LaDuke, «Inji Efflatoun. Art, Feminism and Politics in Egypt», Art Education 45, no 2 (1992): 33‑41, 38.
19    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 24 octobre 1959, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire.
20    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 194.
21    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 15 août 1959, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire.
22    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun : 196.
23    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 20 novembre 1959, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. La lettre est également reproduite dans Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 239-240.
24    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 197.
25    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun: 196.
26    Inji Efflatoun, lettre à Gulpérie Efflatoun-Abdalla, 12 janvier 1963, archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire.
27    Efflatoun et Khayal, Mudhakirat Inji Aflatun : 200-203 ; Gulpérie Efflatoun-Abdalla, Récits. La ballade des geôles, t. 3 (Paris : L’Harmattan, 2002) : 219-222 et 256-266.
28    Tree behind wall, n.d. (c. années 1970), huile sur bois, 15 3/4 x 9 7/16 in. (40 x 24 cm). Ce tableau apparaît ainsi référencé dans l’inventaire de la galerie SafarKhan au Caire qui gère une partie du legs d’Efflatoun. Les titres en anglais des tableaux d’Efflatoun sont généralement ceux attribués par la galerie et non par l’artiste
29    Trees behind the walls, n.d. (c. 1960), huile sur toile montée sur bois, 9 1/16 x 14 3/16 in. (23 x 36 cm). Cet arbre, présumé de 1960, est notamment reproduit dans Lenssen, Rogers, et Shabout, Modern Art in the Arab World, 130, planche 21
30    Voir par exemple Attente, 1968, huile sur toile, 90 9/16 x 31 1/2 in. (230 x 80 cm) qui prend pour modèle les Femmes accroupies de 1960. Attente est reproduit dans Badr Eddine Abou Ghazi, Visages de l’art contemporain égyptien. cat. exp. Musée Galliera, 22 oct.-21 nov. 1971 (Paris: Les Presses Artistiques, 1971): n.p.
31    Sur l’importance capitale de la lumière dans la production post-carcérale d’Efflatoun, voir Anneka Lenssen, «Inji Efflatoun: White Light». Afterall, A Journal of Art Context and Enquiry 42 (Sept. 2016): 84-95.

The post Inji Efflatoun en prison (1959-1963) : peindre l’inrenouvelable appeared first on post.

]]>
Inji Efflatoun in Prison (1959–1963): Painting the Unrenewable https://post.moma.org/inji-efflatoun-in-prison-1959-1963-painting-the-unrenewable/ Wed, 28 Apr 2021 13:56:47 +0000 https://post.moma.org/?p=4484 Celebrated as early as the 1960s, and highly sought-after on the art market today, Egyptian painter Inji Efflatoun's production during her four years of incarceration by the Nasserite regime is often considered the highlight of her oeuvre.

The post Inji Efflatoun in Prison (1959–1963): Painting the Unrenewable appeared first on post.

]]>
Inji Efflatoun (1924-1989) was an Egyptian painter as well as a Marxist and feminist activist. From June 1959 to July 1963, she was imprisoned by the Nasserite regime for her communist ties. Celebrated as early as the 1960s, and highly sought-after on the art market today, her production from this period is often considered the highlight of her oeuvre. Is it because of their documentary value, as they testify to the oppression against political opponents by the Nasserite regime and show the secret reality of the women’s prison? Is it because they shed light on the unusual personal history of this artist and activist? Or do these paintings have exceptional aesthetic qualities? Nadine Atallah attempts to answer these questions by observing a selection of paintings produced between 1959 and 1963 in the light of unpublished letters written by Efflatoun to her family whilst she was in prison. 

This text is available in French here.

Figure. 1. Inji Efflatoun, letter to Gulpérie Efflatoun-Abdalla. 22 May 1963. Inji Efflatoun Archives, IFAO, Cairo. © IFAO

“I still paint a lot, with determination and inspiration; the subjects are always the same but with a new vision, a purer and more sober vision; for me, it’s about constantly renewing myself in this world of the unrenewable1 and the complete banality in which we find ourselves” [Fig. 1].2 These words were written in 1963 by the Egyptian painter Inji Efflatoun (1924–1989) from her jail cell, where she had been detained for almost four years. From June 1959 to July 1963, she was imprisoned by the Nasser regime for belonging to the Communist Party. One of the leaders of the Egyptian Revolution in which King Farouk was deposed in 1952, Gamal Abdel Nasser became president in 1956 and remained in power until his death in 1970. Nasser established a one-party dictatorship that violently repressed all opposition. In 1959, when he led massive detention campaigns targeting communists, intellectual and cultural spheres were particularly affected.3 Efflatoun, who was among those arrested, became one of Egypt’s first female political prisoners.

During her incarceration, Efflatoun painted fervently, depending on the alternation of permissions and bans on her practicing her art, declared by the successive directors of the institution.4 At first, she was allowed to paint on the condition that her work, together with other artifacts produced by her fellow inmates, be sold by the prison’s administrators. Efflatoun was allowed to buy back a number of her own artworks immediately after she painted them, while other works were acquired by prison staff. Several paintings were lost, confiscated by the penitentiary’s administration. It is therefore difficult to say how many works Efflatoun produced over the course of her detention.

The fifty or so oil paintings that I have identified5 include portraits of detainees, as well as scenes of prison life that reveal the reality in women’s prisons that was kept secret. Looking beyond the prison bars, Efflatoun also started painting landscapes. Within each of her subjects—portraits, scenes of collective life, and landscapes—certain paintings offer variations of the same view. The artist even seems to put together a repetoire of forms and figures, at times reproduced identically from one work to the next. These pictorial choices are explained in part by the fact that she was rarely allowed to move about the prison with her art supplies, remaining constrained to the confines of her cell. The lack of models and visual sources of inspiration led Efflatoun to adopt a methodology that could be defined as serial. It seems that what she described as the “constraints . . . imposed on the subject and the place”6 in fact led her to explore the plastic potential of her medium through repetition. This shift is reflected in the variations in mark-making, color, framing, and composition in several similar portraits and scenes, which sparked renewal of her artistic practice—and of her understanding of the role of art.

As a teenager, Efflatoun made her debut in the surrealist group Art et Liberté (Art and Liberty).7 She was active in Egyptian feminist and Marxist circles in the late 1940s when she began to explore painting’s political and social potential as a corollary to her activism. In the 1950s, she organized several exhibitions of her own work, simultaneously denouncing the ravages of colonialism and the oppression of women in Egyptian society, as well as celebrating the Egyptian workforce.8 During this time, Efflatoun authored three political books and newspaper columns,9 prioritizing “communicating [her] opinions”10 through writing and painting alike.

While before 1959 she divided her time between art and activism, in prison she began “a period of a painting practice,”11 in which she seized the opportunity to “improve” her drawing and painting skills.12 In keeping with her political and social engagement, shortly after being imprisoned, Efflatoun started to make portraits of her fellow detainees to give a visual account, through their tragic personal stories, of the “misery of women in our society.”13 Efflatoun, who came from the Turco-Circassian aristocracy, strove throughout her life to better understand the reality of the Egyptian people, particularly its working-class women. Her close proximity in Nasser’s jails to common-law prisoners, including thieves, prostitutes, and murderers, allowed her to seal this rapprochement. The serial aspect of her portraits of fellow inmates, which she painted between 1959 and 1963, stems above all from a similarity of framing, often cut above the chest, reinforced by an almost always frontal and hieratic representation of faces [Figs. 2–6]. Only the intensity of their gaze animates them, the expression of which varies from the greatest distress to the iciest fixity. The very linear drawing, as well as the treatment of skin tones through the geometric juxtaposition of flat tints, which shape the faces with their contrasting shades, also unify the series of portraits. These personal, individual representations of fellow prisoners stand out from the group scenes, in which the figures are often faceless—perhaps alluding to the dehumanization of inmates by the prison system.

Figure 2. Inji Efflatoun. Portrait of a Prisoner. 1959. Oil on canvas. 15 3/5 x 11 4/5″ (44 x 30 cm). Mathaf, Doha, MAT.2013.16.43. Courtesy of Mathaf: Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 3. Inji Efflatoun. Portrait of a prisoner. 1960. Oil on wood. 13 x 9 9/20″ (33 x 24 cm). Photo: SafarKhan Gallery
Figure 4. Inji Efflatoun. Aïda. Oil (support unknown). 15 3/5 x 11 4/5″ (40 x 30 cm). Location unknown. Image taken from: Attiya, Inji Efflatoun, (Le Caire : Al-hai ͗a al-͑amma lil-ista ͑ lamat, 1986).
Figure 5. Inji Efflatoun. Portrait. 1963. Oil on board. 13 39/50 x 10 1/4″ (35 x 26 cm) Inji Efflatoun Museum, Cairo
Figure 6. Inji Efflatoun. Portrait. 1963. Oil on board. 14 57/100 x 11 4/5″ (37 x 30 cm). Inji Efflatoun Museum, Cairo

These paintings reveal aspects of everyday life in prison, in spaces that structure collective life such as dormitories, the courtyard, the washhouse, and the refectory. We know that at the behest of the director of her district, Efflatoun occasionally enjoyed the chance to move around the prison to paint.14 For the artist, the alternating periods of mobility and forced reclusion within the building had an impact on her choice of subject, but also on her process. She reproduced identical figures in several paintings. This is the case, for example, in two scenes that depict prisoners squatting in a row, waiting by the door around the time of the daily walk. One of these paintings is referenced as Al-Qurfasa’ (Women Squatting) in several sources, while the other’s title is unknown [Figs. 7, 8].15 To the far right in both, the same short-haired, turbaned woman has turned her head toward the wall, exposing her neck. Her bare calf appears under her raised galabiya. Punctuated by the curves of backs and legs amplified by the uniforms’ stripes, but also by recurring postures, such as chins resting on hands, the two paintings unfold, frieze like. One, more narrowly focused on the figures, abstracts the details that would allow us to recognize the prison courtyard. Perhaps the artist painted it at a time when she was forbidden to move around the facility and so used the other piece, which was likely made in situ, as a model. We find a similar case among the representations of sailboats, the comings and goings of which Efflatoun could admire from the rooftop of the prison, which was located on the banks of the Nile [Figs. 9, 10]. Two vertical versions of this scene, both with tight framing on the sails, appear identical with the exception of a few details. In their center, two masts are interlaced, forming a cross. All around them, the arrangement of sails and entangled ropes is essentially the same in both works. The touch, however, is different, more fluid, and perhaps smoother on one of the paintings, in which the draping is rendered dynamically by wavy lines. This variation shows an attention brought to the mark-making, or process of painting, beyond the subject represented. As the artist explained at the time, “From nothing as a subject, or even with the same subject all the time, I manage to produce a bunch of compositions that are always renewed. That is a sign of great progress for my work—something that encourages me to work in spite of everything and all the difficulties.”16

Figure 7. Inji Efflatoun. Femmes accroupies. 1960. Huile sur toile. 13 39/50 x 35 43/100″ (35 x 90 cm). Photo: Galerie SafarKhan
Figure 8. Inji Efflatoun. Titre et détails inconnus. Archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. © IFAO
Figure 9. Inji Efflatoun. Titre et détails inconnus. Archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. © IFAO
Figure 10. Inji Efflatoun. Titre et détails inconnus. Archives d’Inji Efflatoun, IFAO, Le Caire. © IFAO

If the serial portraits of prisoners evoke the multitudes of incarcerated women and their miserable fate, by turning her attention to nature, Efflatoun explored less overtly political and social subject matter. Well after her release, she recalled, “The experience of prison revealed the importance of nature to me. Before 1959, I concentrated on expressing the personality, the human being. It was rare for me to paint a painting of nature alone, for itself. But when I was deprived of it, I felt how precious it was. It became a symbol of freedom in my eyes.”17 Later, in her memoirs, she added, “If I had been out of prison, I never would have painted a single tree, because the field of possibilities would have been very vast.”18 However, we know that shortly before her arrest, Efflatoun deposited a painting at the Museum of Modern Art in Cairo for a landscape competition. While in hiding from the police, she learned that she had been awarded first prize.19 Beyond this affirmation, the artist had other motivations for turning her gaze to a subject that had barely interested her before. Firstly, because the prison administration benefited from the sale of her paintings, she was ordered to produce saleable images and told that “[t]he subject must be pretty, slender, easy on the eyes.”20 The portraits that she did of her fellow inmates were deemed “depressing” and thus unmarketable.21 Secondly, in the dormitory, Efflatoun occupied the top bunk, which had the advantage of being near a window and offered a view of the outside.22 The institution where Efflatoun was detained, which still exists today, is located in the town of Al-Qanater Al-Khayriya in the Nile Delta, a destination popular with residents of Cairo for its gardens. Al-Qanater Al-Khayriya literally means “the beneficent aqueducts” and refers to the dams erected on the Nile. Efflatoun recorded this lush and picturesque context in several paintings, in which bushy trees and flowerbeds appear behind the walls and barbed wire of the prison. But above all, it was weariness with prison life that inspired Efflatoun to look outward. She later recalled, “After a while, I didn’t want to paint the prison, or the prisoners, anymore. I was disgusted by prison.”23 She then found a favorable prospect in painting landscapes: “[T]his view is the easiest calming agent for our captive souls, and the constant source of hope for the future.” she declared in 1959.24

There is, then, in these representations of nature, a symbolic dimension. It seems, in fact, that the artist clung to the vision of plants, sailboats, and the sky as to the hope forfreedom. The very gesture of painting and repainting the same landscape then appears to be an enterprise of mental escape. Efflatoun made several paintings of one tree in particular, to the point that her fellow inmates called it “Inji’s tree” [Figs. 11–13].25 The different versions of this subject vary in color—ranging from classic brown and green tones to an almost Fauvist palette dominated by shades of violet. The red of the flowers is recurring—the tree is probably a flame tree. The colors, applied in round strokes, are layered on top of each other without any concern for creating depth, and the blue of the sky at times blends with the foliage [Fig. 14]. Efflatoun in fact strove to blur the rules of perspective. Several paintings show branches tangled in the metal bars of the window, passing in front and then behind them despite all likelihood [Fig. 15]. In these images, the separation between interior and exterior is abolished, expressing the artist’s desire for freedom. The color variations in the series are perhaps the result of the irregular supply of tubes of paint—their small format similarly attests to the need to conserve canvas, which was difficult to procure. Perhaps, above all, these chromatic evolutions evoke the passing of time. Efflatoun stated later, in her memoirs, “I painted [this tree] every season.”26 As she observed in January 1963: “[M]y tree, the one that flowered every year in the middle of winter, is starting to lose its leaves and put on its cloak of red bouquets.”27 The experience, through painting, of time passing is all the more striking because Efflatoun was unaware of the ultimate length of her detention. She was tried on December 23, 1960, and sentenced to two years in prison. It was common however for political prisoners not to be released on the day of their acquittal, and in fact, Efflatoun was not freed until July 26, 1963, along with co-detainees after a hunger strike.28 The fact that she depicted the same tree over and over can also be seen as an act of ritual, one intended to ward off the anguish of an indefinite incarceration.

Figure 11. Inji Efflatoun. Al-achgar (Arbres). 1960. Huile sur bois. 22 21/25 x 14 24/25″ (58 x 38 cm). Courtesy de Ramzi & Saeda Dalloul Art Foundation
Figure 12. Inji Efflatoun. The Tree of Freedom. 1963. Huile sur toile. 21 13/20 x 15 3/5″ (55 x 40 cm). Mathaf, Doha, MAT.2013.16.45. Courtesy du Mathaf: Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 13. Inji Efflatoun. Flower Trees Behind the Bars. 1962. Huile sur toile sur panneau. 20 87/100 x 10 63/100″ (53 x 27 cm). Mathaf, Doha. MAT.2013.16.52. Courtesy du Mathaf : Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 14. Inji Efflatoun. Shajara Khalfa al Aswar (Arbre derrière les murailles). ca. 1960. Huile sur toile montée sur panneau. 15 7/20 x 12 1/5″ (39 x 31 cm). Mathaf, Doha. MAT.2013.16.51. Courtesy du Mathaf: Arab Museum of Modern Art, Doha
Figure 15. Inji Efflatoun. Arbres derrière la muraille. 1963. Huile sur bois. 11 81/100 x 9 21/25″ (30 x 25 cm). Photo: Galerie SafarKhan

Before her imprisonment, Efflatoun focused on the message she wanted to convey through her artworks. She saw painting as a way to effect concrete change in society, similar to her political activism. She wielded her brush to ensure a better future. By contrast, in prison, her work was anchored to the limitless present. This shift in temporality led to a modification in the artist’s practice, which became a serial endeavor as she responded to the difficult conditions of her detention. With portraits that tell of prisoners’ misery, the artist put seriality in the service of rhetoric. With her representations of nature, she went beyond the militant use of images. Her painted trees, however, preserve a narrative function as they express the desire for freedom—and uncertainty in the face of passing time. Although the tree imposed itself on Efflatoun as a circumstantial subject of representation, by provoking contemplation and crystallizing hope, it was much more than a pretext. Its significance is evidenced by the fact that even after her release from prison, it remained a central motif in her pictorial production. From the mid-1960s onward, Efflatoun painted mostly rural landscapes studded with fruit trees and palm trees. One painting, believed to be from the 1970s, evokes the famous “Inji tree” [Fig. 16].29 Despite the differences in colors and framing, this painting is, down to its dimensions, a copy of another painting thought to have been executed in prison [Fig. 17].30 Neither work is dated. Though errors cannot be ruled out, other examples confirm that after her release, Efflatoun reproduced scenes she first depicted while imprisoned.31

Figure 16. Inji Efflatoun. Arbre derrière muraille. c. 1970s. Huile sur bois. 15 3/5 x 9 9/20″ (40 x 24 cm). Photo: Galerie SafarKhan
Figure 17. Inji Efflatoun. Arbres derrière muraille. c. 1960. Huile sur toile montée sur panneau de bois. 14 17/100 x 9 3/50″ (36 x 23 cm). Photo: Galerie SafarKhan

How should we understand these iconographic reiterations? As the continuation of a formal exploration of inexhaustible subjects in a serial logic? Or as a way for an artist, who resolved upon her release from prison to distance herself from her radical positions, to continue to bear witness to the oppression the Nasser regime imposed upon those who opposed it, both male and female? Can we go so far as to consider Efflatoun’s post-prison production, conceived as a celebration of nature and the clarity of the sun,32 as the counter-image of the deprivations suffered during her detention?

Translated from French by Jeanine Herman.


1    Efflatoun writes “irrenouvable” instead of “inrenouvelable”, which is a word that does not exist and may come from the language interferences specific to Egyptian Francophonie. Thanks to Mercedes Volait who noted this peculiar term.
2    Inji Efflatoun to Gulpérie Efflatoun-Abdalla, May 22, 1963, Inji Efflatoun archives, French Institute for Oriental Archaeology, Cairo (hereafter abbreviated as IFAO).
3    For more about the ideological expressions of Nasserism and its conflicted relationship to the Egyptian intelligentsia, see Anouar Abdel-Malek, Égypte, société militaire (Paris: Éditions du Seuil, 1962); and Salah Isa, Muthaqqafun wa ‘askar (Cairo: Maktabat Madbuli, 1986).
4    Efflatoun gives an account of her artistic activity in prison in her memoirs: Inji Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun. Min al-tofula ila al-sign, ed. Said Khayal (Cairo: Dar al-thaqafa al-gadida, 2014), 193–97. Unpublished correspondence between the painter and her sister, Gulpérie Efflatoun-Abdalla, held in the Inji Efflatoun archives, IFAO, also helps shed light on this period. See also the portrait of the artist by Betty LaDuke, “Egyptian Painter Inji Efflatoun: The Merging of Art, Feminism, and Politics,” NWSAJournal 1, no. 3 (Spring 1989): 474–485.
5    These are mostly paintings from the artist’s personal collection which she kept until her death. Today these works are dispersed among different museums and institutions in Egypt and other Arab countries.
6    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, October 24, 1959, IFAO.
7    Art et Liberté (Gamaʿiyat al-Fann wal-Horriya in Arabic) was a cosmopolitan group of artists, writers, and intellectuals active between 1938 and 1948. The group gathered around Marxist convictions and the belief that art—and surrealism in particular—was a means to resist the fascist and nationalist movements that were rising in Egypt and worldwide. See, among other sources, Aimé Azar, Les Inquiets (Cairo: Imprimerie Française, 1954); and Sam Bardaouil, Surrealism in Egypt: Modernism and the Art and Liberty Group (London and New York: I. B. Tauris, 2017).
8    Efflatoun exhibited her work in the following Cairo galleries: ADAM (1952), Aladdin (1953), Le Galion (1953), and l’Atelier du Caire (1959).
9    On the topic of Efflatoun’s writings and political activities, see Didier Monciaud, “Les engagements d’Inji Aflâtûn dans l’Égypte des années quarante: la radicalisation d’une jeune éduquée au croisement des questions nationale, femme et sociale,” Cahiers d’Histoire. Revue d’Histoire Critique 126 (2015): 73–95. 
10    Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 102. On the narrative dimension of Efflatoun’s painting, see Nadine Atallah, “Have There Really Been No Great Women Artists? Writing a Feminist Art History of Modern Egypt,” in Under the Skin: Feminist Art and Art Histories from the Middle East and North Africa Today, eds. Ceren Özpınar and Mary Kelly, Proceedings of the British Academy (Oxford: Oxford University Press, 2020), 11–25.
11    Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 196.
12    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, July 6, 1959, IFAO.
13    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, August 15, 1959, IFAO.
14    Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 195.
15    See the exhibition brochure “Inji Efflatoun, 6e exposition,” published on the occasion of her exhibition at Akhenaton Gallery in Cairo in March 1964, Inji Efflatoun archives, IFAO.
16    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, December 4, 1961, IFAO.
17    Mohamed Shaaban, Injy (Al-markaz al-qawmi lil sinema, 1988), documentary film.
18    Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 197.
19    Betty LaDuke, “Inji Efflatoun: Art, Feminism, and Politics in Egypt,” Art Education 45, no. 2 (1992): 33–41.
20    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, October 24, 1959, IFAO.
21    Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 194.
22    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, August 15, 1959, IFAO.
23    Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 196.
24    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, November 20, 1959, IFAO. The letter is also reproduced in Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 239–40.
25    Ibid., 197.
26    Ibid., 196.
27    Efflatoun to Efflatoun-Abdalla, January 12, 1963, IFAO.
28    Efflatoun, Mudhakirat Inji Aflatun, 200–203; Gulpérie Efflatoun-Abdalla, Récits. La ballade des geôles (Paris: L’Harmattan, 2002): 219–222.
29    See Tree behind wall, n.d. (c. 1970s), oil on wood, 15 3/4 x 9 7/16 in. (40 x 24 cm). The English titles associated with Efflatoun’s paintings generally have been assigned by SafarKhan, the gallery that represents part of the Efflatoun estate, and not by the artist.
30    Trees behind the walls, n.d. (c. 1960), oil on canvas mounted on wood, 9 1/16 x 14 3/16 in. (23 x 36 cm), Cairo. This painting, presumed to be from 1960, is reproduced in Anneka Lenssen, Sarah Rogers, and Nada Shabout, eds., Modern Art in the Arab World, Primary Documents8 (New York: The Museum of Modern Art, 2008), 130, plate 21.
31    See, for example, Attente (Waiting), 1968, oil on canvas, 90 9/16 x 31 1/2 in. (230 x 80 cm), which is modeled after Al-Qurfasaʾ of 1960. Attente is reproduced in Badr Eddine Abou Ghazi, Visages de l’art contemporain égyptien, exh. cat. (Paris: Les Presses Artistiques, 1971), n.p.
32    On the importance of light in Efflatoun’s post-prison production, see Anneka Lenssen,“Inji Efflatoun: White Light,” Afterall: A Journal of Art Context and Enquiry 42 (Autumn/Winter 2016): 84–95.

The post Inji Efflatoun in Prison (1959–1963): Painting the Unrenewable appeared first on post.

]]>